- RÉPARTITION DES FLORES ET DES FAUNES
- RÉPARTITION DES FLORES ET DES FAUNESL’aire d’un taxon (espèce et ses variétés raciales, genre, famille, ordre) est l’espace géographique dans lequel il est représenté par des individus autochtones. Ces aires sont extrêmement diverses: tous les intermédiaires existent entre le cosmopolitisme (répartition mondiale) et l’endémisme (endèmos , national: confinement dans une aire géographique définie); cette diversité a pour corollaire celle de ces listes de taxons, appelées faunes ou flores, dont la composition varie suivant les régions. La science des aires de répartition est à la fois descriptive (aréographie) et causale (chorologie); parmi ces causes, très complexes, interviennent les migrations (mouvements d’avance et de recul des espèces), elles-mêmes soumises à un déterminisme interne (variabilité et pouvoir d’expansion de l’organisme) et externe (action favorisante ou inhibitrice du milieu). La génétique des populations, qui étudie, par des méthodes statistiques, cette action sélective du milieu sur des génotypes variables, est ainsi une science étroitement liée à la chorologie. Il va de soi que la répartition des organismes, à une période quelconque, dépend de leur répartition à l’époque immédiatement antérieure; c’est pourquoi l’on ne peut comprendre les aires géographiques actuelles sans connaître l’histoire des faunes et des flores [cf. PALÉOGÉOGRAPHIE] et l’influence qu’ont eue, sur cette histoire, les révolutions géologiques, surtout au cours des périodes récentes (Tertiaire, Quaternaire).Toutes ces considérations sont valables pour les animaux comme pour les végétaux. Les notions de chorologie seront exposées plus particulièrement à propos des flores. On se proposera ensuite de montrer leurs incidences sur la composition actuelle des faunes, davantage concernées par les migrations.1. Répartition des floresLes flores terrestres actuelles sont composées d’une minorité de plantes anciennes (Fougères, Préspermaphytes, Gymnospermes) résiduelles, vestiges du Primaire et des débuts du Secondaire, et d’une majorité d’Angiospermes. Celles-ci, déjà très diversifiées à la fin du Crétacé inférieur où l’on trouve leurs premiers fossiles indiscutables, sont sans doute beaucoup plus anciennes.Seuls seront considérés ici les végétaux vasculaires; cependant, la biogéographie des Champignons supérieurs et des Algues marines à thalle différencié n’est ni moins variée ni moins intéressante.Notions d’aréographieSelon le degré d’extension des taxons, on distingue des aires cosmopolites, zonales, disjointes ou endémiques. La plupart des grandes familles d’Angiospermes (Renonculacées, Rosacées, Légumineuses, Ombellifères, Éricacées, Labiées, Scrophulariacées, Composées, Liliacées, Graminées, Cypéracées, Orchidées, etc.) sont cosmopolites , c’est-à-dire représentées sur toutes les terres émergées. Quelques genres importants (clématites, Nymphaea , euphorbes, Drosera , séneçons, etc.), en nombre beaucoup moindre, sont eux aussi cosmopolites. Certaines espèces enfin sont réparties dans le monde entier; ce cas exceptionnel est surtout le fait d’herbes aquatiques (lentilles d’eau, Ceratophyllum , roseau commun, etc.) ou de mauvaises herbes (chiendent, etc.) et, parmi les Fougères, l’osmonde royale et la fougère aigle (fig. 1).L’aire de nombreux taxons coïncide avec une certaine zone latitudinale . Beaucoup de genres et d’espèces, ainsi qu’une très petite famille (Diapensiacées), sont propres à toute la zone boréale extratropicale. De nombreuses familles, dont certaines (par exemple les Palmiers: cf. ARBRE, fig. 4) numériquement très importantes, ainsi qu’une multitude de genres et d’espèces, sont propres à la zone intertropicale ou en débordent à peine, au nord et au sud (taxons pantropicaux). Enfin, dans l’hémisphère austral, d’autres familles, avec tout leur cortège de genres et d’espèces, s’ajoutent aux précédentes. Un gradient d’enrichissement et de diversification floristique existe donc du nord au sud de la Terre.L’aire d’une famille, d’un genre, d’une espèce est dite disjointe lorsqu’elle comprend des régions séparées, sans limites naturelles et plus ou moins distantes (fig. 2).L’aire des taxons (espèces, genres, familles) coïncidant avec un territoire géographique défini, limité par une frontière naturelle: île, archipel, péninsule, chaîne de montagnes, montagne isolée, affleurement géologique particulier (caractérisé, par exemple, par la concentration exceptionnelle d’un minéral), est appelée endémique . L’endémisme confère à chaque région naturelle une originalité faunistique et floristique d’autant plus grande que sont plus élevés le pourcentage des taxons endémiques et le rang hiérarchique (famille, genre) de ces taxons. Il n’est pas une région naturelle qui ne possède son contingent d’endémiques: entre Madagascar, où l’on compte 7 familles et d’innombrables genres et espèces de plantes endémiques (taux d’endémisme approchant de 100 p. 100), et l’Islande, dont la pauvre flore ne comprend que quelques races endémiques, tous les intermédiaires existent.Les empires floristiquesLes endémiques sont partout mêlés, en proportions diverses, à des taxons cosmopolites, zonaux ou à aire disjointe; ils caractérisent les grandes régions floristiques du monde: empires, sous-empires, provinces, districts, etc.L’HolarctisL’empire holarctique ou Holarctis comprend l’ensemble des continents et des îles situés dans la zone extratropicale de l’hémisphère Nord. Riche en espèces, cet empire est peuplé de familles cosmopolites (à l’exception des Diapensiacées: cf. supra , Notions d’aérographie ); même les Bétulacées, Fagacées, Papavéracées, Caryophyllacées, Crucifères, Ombellifères, etc., abondamment représentées dans cette zone, ne sont absentes ni de la zone tropicale ni des terres australes. On connaît, en revanche, beaucoup de genres propres à l’Holarctis, par exemple les noisetiers, les nénuphars, les ancolies, les armoises, les iris, les ails, etc.Les sous-empires américain (néarctique) et eurasiatique (holéarctique), qui, tous deux, comprennent de nombreuses provinces, se distinguent par de nombreux genres particuliers à l’un ou à l’autre (par exemple les Eschscholtzia et les Helianthus en Amérique, les hellébores et les sorbiers en Eurasie) et par des espèces différentes appartenant à des genres communs (vicariance ): les hêtres, les chênes, les charmes, les anémones, les iris d’Amérique du Nord ne sont pas les mêmes que ceux de l’Ancien Monde extratropical. L’empire holarctique comprend, en Amérique, en Afrique du Nord et en Eurasie, d’immenses chaînes de hautes montagnes, centres d’endémisme intense à l’échelon du genre et de l’espèce.Le sous-empire eurasiatique a fourni à l’homme de nombreuses plantes alimentaires, la plupart originaires des régions montagneuses du Proche-Orient (blé, orges, seigle, abricotiers, pêchers, pommiers, etc.); les Helianthus (soleil, topinambour) sont nord-américains.La PaleotropisL’empire paléotropical ou Paleotropis s’étend sur toutes les régions tropicales de l’Ancien Monde (du Sénégal à Java); il est, compte tenu de son immense superficie, pauvre en familles endémiques, numériquement peu importantes (13), et dont une seule (Diptérocarpacées) est commune à l’ensemble. Il est aussi très composite: on y distingue deux sous-empires, dont chacun comprend de nombreuses provinces et où se mêlent les représentants des familles cosmopolites et pantropicales.Le sous-empire africain comprend 6 petites familles endémiques, dont aucune n’est marquante; sont aussi caractéristiques de l’Afrique le grand genre Cola (les colatiers) et beaucoup d’autres genres moins considérables, nombreux surtout dans les centres d’endémisme générique et spécifique que sont les régions montagneuses: Tibesti, Éthiopie et montagnes de l’Afrique orientale.Le sous-empire asiatique est habité par 7 petites familles endémiques, mais la flore est, dans l’ensemble, beaucoup plus riche et variée que celle de l’Afrique. La quasi-totalité des Diptérocarpacées est asiatique, et certaines familles pantropicales de Fougères ou d’Angiospermes (Palmiers, Orchidées, etc.) atteignent un développement extraordinaire, avec une multitude de genres et d’espèces propres à cette région du monde, et dont quelques-unes sont spectaculaires (par exemple les Rafflesia ; cf. FLEUR). Les chaînes himalayennes qui s’achèvent en Asie tropicale et les volcans indonésiens portent des forêts et des formations d’altitude qui sont d’un exceptionnel intérêt.De nombreuses plantes alimentaires et industrielles (théier, agrumes, poivrier, cannelier, cotonniers diploïdes, bananiers, canne à sucre, riz, etc.) sont originaires d’Asie tropicale. L’Afrique est la patrie des caféiers cultivés, du palmier à huile, du sorgho et des mils.La NeotropisL’empire néotropical ou Neotropis , comprenant toutes les terres tropicales du Nouveau Monde, est aussi riche en espèces que le sous-empire asiatique, mais plus original en raison de la présence de 31 familles endémiques superposées au fonds cosmopolite et pantropical. Deux au moins de ces familles, les Cactacées (plus de 2 000 espèces), spécialisées dans la succulence, et les Broméliacées (1 700 espèces), spécialisées dans l’épiphytisme, marquent très fortement les paysages végétaux. Les forêts, les marécages, les rives des fleuves dans les plaines et, dans les montagnes, les forêts qui couvrent les versants arrosés, les hauts plateaux, les étages les plus élevés, sous les neiges persistantes, créent des milieux infiniment variés où la flore peut diversifier toute sa richesse et où abondent des espèces remarquables, comme Victoria regia , spectaculaire Nymphéacée du bassin de l’Amazone. L’empire néotropical a fourni à l’homme une multitude de plantes alimentaires, industrielles, médicinales, horticoles: arachides, cotonniers tétraploïdes, hévéas, quinquinas, avocats, haricots, cacaoyers, pommes de terre, ananas, maïs, tabacs, bougainvillées, dahlias, zinnias, etc.L’empire australL’empire austral s’étend sur toutes les terres situées à l’approche et au sud du tropique du Capricorne: Afrique du Sud, Madagascar, Australie, Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande, Amérique australe au sud du 40e parallèle. Dans cette zone sont représentés, outre les familles cosmopolites et pantropicales (dont beaucoup d’espèces s’aventurent au sud du tropique), une dizaine de grands taxons (familles: Escalloniacées, Protéacées, Cunoniacées, Restionacées, etc., et sous-familles) caractéristiques. Ces terres sont ainsi les parties du monde où les flores sont les plus riches et les plus diverses. On évalue la flore sud-africaine à plus de 16 000 espèces, la province du Cap offrant un assortiment d’endémiques (7 petites familles) particulièrement original. Le nombre des familles endémiques est de 7 à Madagascar, de 11 en Australie, de 2 en Nouvelle-Calédonie, île cependant très petite, et de 2 dans la partie méridionale de l’Amérique du Sud. La richesse et l’originalité de toutes ces provinces australes sont extrêmement remarquables; elles n’ont cependant fourni à l’homme aucune espèce alimentaire ou industrielle importante.2. Notions de chorologie végétaleLa face de la Terre n’a jamais cessé et ne cessera jamais de varier. Ces changements, imperceptibles à l’échelle du temps humain, deviennent considérables à celle du temps géologique. De même, les flores et les faunes n’ont jamais cessé et ne cesseront jamais, très lentement aussi, de se modifier. Les espèces et les races sont éminemment instables par suite des événements (mutations, hybridations) affectant leur constitution génétique. Ces nouveautés sont aussitôt éliminées par la concurrence des organismes en place, parfaitement adaptés au milieu; mais, quand celui-ci varie, certains de ces mutants ou hybrides supportent mieux les conditions nouvelles et remplacent ainsi leurs devanciers, qui peuvent aussi disparaître sans descendance et céder la place à des organismes plus compétitifs. L’évolution des animaux et des végétaux et les progrès organiques qui marquent toute cette évolution ont donc été fortement influencés par les bouleversements géographiques et climatiques.À la fin des temps permo-carbonifères, toutes les terres aujourd’hui dispersées constituaient un seul continent (Pangaea ) entouré d’un seul immense océan (Panthalassa ); la Terre était alors dans une période froide, avec de grands glaciers dont les traces subsistent sur la partie australe, gondwanienne de la Pangaea (cf. GONDWANA, océan INDIEN).Les fruits et les graines des Angiospermes étant, sauf exceptions, incapables de survivre à l’épreuve que représente un voyage transocéanique dans l’atmosphère ou sur l’eau, on ne peut expliquer les aires cosmopolites et zonales sans admettre que les taxons présentant ces larges répartitions ont commencé de se différencier sur un territoire continu: la chorologie confirme donc la notion de Pangaea . Puis celle-ci s’est démembrée (cf. océan ATLANTIQUE, DÉRIVE DES CONTINENTS, DORSALES MÉDIO-OCÉANIQUES) et, sur chacun des fragments désormais isolés, les flores et les faunes ont évolué suivant des voies différentes, tout en maintenant des caractères communs (fig. 3). On connaît le mécanisme génétique de ces divergences évolutives [cf. SPÉCIATION], dont les effets grandissent avec le temps: un taux d’endémisme élevé est un indice sûr d’un isolement prolongé. On comprend ainsi les caractères de la flore néotropicale, à la fois son originalité et ses affinités avec les flores paléotropicales, en particulier avec celle de l’Afrique: il est démontré que l’Amérique du Sud et l’Afrique ont formé, jusque vers la fin du Jurassique, un continent d’un seul tenant, puis se sont séparées du sud au nord, la fissure, de plus en plus large, devenant l’Atlantique Sud. Madagascar, l’Inde, l’Australie, la Nouvelle-Calédonie se sont aussi séparées très anciennement, comme en témoigne l’intense endémisme de leurs flores. Les composants cosmopolites et zonaux se sont différenciés avant , les taxons endémiques après l’isolement. La formation de l’Atlantique Nord est sans doute moins ancienne, d’après les données de la géologie que confirme la relative uniformité du monde holarctique. La prodigieuse richesse floristique des terres australes conduit à imaginer que les Angiospermes seraient nées dans l’hémisphère Sud (Gondwana) d’où elles auraient, en des temps reculés, envahi toutes les terres.Les Angiospermes en évolution ont ensuite connu de grandes vicissitudes. Nées, peut-être, sous des climats froids, elles ont vécu, à la fin du Crétacé et au début du Tertiaire, dans une ambiance tropicale ou subtropicale, au moins jusqu’à la latitude de l’Allemagne du Nord. Au cours de cette période, longue de quelque 50 millions d’années, les Angiospermes ont atteint un degré de diversification proche de celui d’aujourd’hui. Puis, à partir de la fin du Paléogène, la température s’est refroidie et la zone chaude peu à peu rétrécie: l’empire holarctique s’est différencié et étendu vers le sud. Enfin sont survenues, au cours du Quaternaire, les périodes glaciaires successives qui ont si fortement marqué les flores holarctiques et détruit, au moins en Europe où les glaciations ont été très sévères, tant de taxons incapables de s’adapter au froid.Ainsi explique-t-on les aires disjointes (fig. 2); les Magnoliacées étaient autrefois cosmopolites, comme en témoignent de nombreux restes fossiles, puis des catastrophes climatiques ou géologiques, qui toujours entraînent d’importants génocides, les ont détruites dans de vastes régions: les aires disjointes constituent des aires résiduelles . Enfin, l’immobilisation, sous forme de glaces, de grandes quantités d’eau a eu pour effet d’abaisser de plus de 200 m le niveau des mers: l’Alaska s’est ainsi trouvé soudé à la Sibérie, la Corse et la Sardaigne à la Toscane, l’Italie à l’Afrique (par la Sicile), les îles Britanniques au continent, Bornéo, Java et Sumatra à l’Asie, etc., offrant des voies de migration pour beaucoup d’espèces. Les échanges entre l’Asie et l’Amérique expliquent certaines analogies floristiques entre l’Extrême-Orient et l’Ouest américain, ainsi que le peuplement de l’Amérique par l’homme. Les flores tropicales et australes n’ont pas connu, en raison de la latitude ou de l’océanité, les épreuves imposées aux flores boréales; elles ont ainsi mieux préservé leur richesse et leurs caractères ancestraux, surtout dans les îles isolées au moins depuis le début du Tertiaire ou, peut-être, la fin du Crétacé.3. Répartition des faunesLa répartition des espèces animales comme celle des espèces végétales dépendent essentiellement des facteurs géographiques et écologiques: les premiers permettent l’expansion des espèces à partir de leur berceau et les échanges de faune entre régions différentes, ou, inversement, isolent à l’intérieur de barrières (mers, montagnes, déserts) des ensembles fauniques; les seconds (climat, ressources alimentaires, maintien de l’équilibre dans les biocénoses) contrôlent, régularisent et exploitent les effets des premiers. De ce fait, l’établissement d’une communication entre deux régions séparées n’entraîne pas un mélange complet des faunes; le plus souvent, les échanges sont limités dans les deux sens, dans des proportions qui dépendent des caractéristiques du passage, de l’éventail des conditions écologiques de l’une et de l’autre région et de leurs possibilités d’absorption d’espèces nouvelles. Ces liaisons, souvent temporaires et aléatoires, constituent des «ponts filtrants». La rupture d’équilibre consécutive à l’invasion d’une biocénose peut y provoquer des extinctions massives: ainsi, la pénétration des Fissipèdes en Amérique du Sud au Pliocène supérieur causa l’extinction des Marsupiaux carnivores qui, jusque-là, avaient assuré la fonction de prédation.Le buissonnement évolutif de faunes qui se trouvent isolées par un milieu circonscrit est déterminé par la variété des niches écologiques disponibles (phénomène très net dans les îles). L’isolement assure en outre la survivance d’espèces archaïques, en les soustrayant à la concurrence d’espèces plus évoluées. Les transports passifs ont aussi un rôle important; il arrive que des insectes et des oiseaux soient entraînés par des vents loin de leur région d’origine: ainsi, le héron garde-bœufs (Bubulcus ibis ), jusque-là limité aux zones chaudes de l’Ancien Monde, a récemment colonisé les deux Amériques, à partir d’un stock d’individus qui, entraînés par des vents, ont atteint la Guyane où ils ont pu faire souche. Enfin, des radeaux naturels, arrachés à leurs rives par des grands fleuves de type tropical et charriant avec eux des éléments de la faune locale, ont certainement transplanté des Vertébrés terrestres au-delà de masses océaniques (origine probable du peuplement de Madagascar).L’état de la zoosphère, à un moment donné, est donc la résultante d’un ensemble de facteurs d’autant plus complexe que chacun de ceux-ci n’a cessé de varier depuis que la vie est apparue sur Terre, il y a quelque 3 milliards d’années. Face aux variations climatiques (qui allèrent de régimes tropicaux généralisés à des périodes de froid intense), face aux régressions et aux transgressions marines isolant ou reliant les masses continentales, face à l’évolution de la végétation, les espèces animales se trouvèrent sans cesse devant l’alternative: disparaître ou s’adapter pour survivre.Domaine océanique et domaine continentalLa répartition de la faune dans le domaine océanique a été essentiellement conditionnée, au cours des temps, par la température, la salinité et la profondeur (cf. PALÉOÉCOLOGIE). Les barrières sont surtout écologiques et la dispersion passive des œufs ou des larves a assuré une large répartition à beaucoup d’espèces même liées au fond. La richesse du plancton et l’abondance corrélative des poissons dans les eaux de surface des mers froides expliquent que, dans la limite des possibilités de nidification, la concentration des Oiseaux y soit plus élevée que dans les mers chaudes; elles expliquent de même la concentration des Pinnipèdes (phoques, otaries et morses) autour des pôles et le nombre élevé de Cétacés qui y vivent.Les effets des conditions paléogéographiques sont plus sensibles sur les continents, notamment chez les Vertébrés. Parmi eux, les Mammifères, dont l’évolution s’est poursuivie sur toute la durée de l’ère tertiaire et qui ont laissé beaucoup de fossiles, sont de meilleurs indicateurs pour l’histoire de la répartition que les Poissons dulçaquicoles, enfermés dans leurs bassins, ou que les Reptiles, dont les marges écologiques sont trop étroites pour qu’ils soient florissants partout, ou que les Oiseaux, qui ont laissé peu de fossiles, dont l’évolution a été beaucoup plus rapide et qui en outre se jouent plus aisément des obstacles géographiques.Régions biogéographiquesP. L. Sclater, qui se fondait sur l’avifaune, a reconnu six grandes régions biogéographiques dans le monde: régions paléarctique (Europe, Afrique du Nord, Asie septentrionale), néarctique (Amérique du Nord), néotropicale (Amérique du Sud et centrale), orientale (Asie tropicale, Sumatra, Java, Bornéo), éthiopienne (Afrique au sud du Sahara, sud-ouest de l’Arabie), australienne (Australie, Célèbes, Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Zélande). Chacune renferme des familles endémiques (nées sur place ou bien en survie dans leur aire actuelle et éteintes dans leur berceau d’origine) et d’autres, de plus large répartition. La proportion des différents éléments dépend des durées d’isolement ou des possibilités d’échange dans le passé (fig. 4). En outre, des éléments communs se trouvent dans des régions ne communiquant pas entre elles. Les régions paléarctique, néarctique et orientale ont peu de familles endémiques, à l’inverse des régions éthiopienne, néotropicale et australienne. Quelques exemples illustreront ces faits.4. Relations de la paléogéographie et de la composition des faunesDispersion des faunes paléarctique et néarctiqueLes régions paléarctique et néarctique sont le berceau de nombreuses lignées, dont certaines se sont répandues dans le monde entier grâce aux voies de migration à leur disposition. Au Paléocène, l’Atlantique n’ayant pas achevé sa percée vers l’Arctique, l’Europe et l’Amérique étaient en contact au nord. Plusieurs fois au cours du Tertiaire et du Quaternaire, l’Asie et l’Amérique furent reliées par l’isthme de Béring. Après la collision de l’Inde avec l’Asie et en conséquence de l’orogène alpin, l’Asie septentrionale fut en communication avec l’Asie tropicale, à l’est par les plaines de Chine méridionale, et à l’ouest par le tableau iranien et la dépression aralo-caspienne. Enfin, pendant le Pléistocène, quand les glaciers soustrayaient aux océans une partie de leur eau, le plateau continental à découvert relia les îles de la Sonde (jusqu’à Java) au continent asiatique. De son côté, l’Amérique du Nord resta coupée de l’Amérique du Sud au moins jusqu’au Pliocène; toutefois, les mouvements de faune consécutifs à l’émersion de l’isthme de Panamá ne prirent d’ampleur qu’au Pléistocène.Les avifaunes paléarctique et néarctique ont beaucoup d’éléments circumboréaux communs, indiquant d’ailleurs un passage plus grand dans le sens Asie-Amérique. Vers le sud, la région néarctique a assimilé depuis le Pléistocène beaucoup d’oiseaux néotropicaux, tandis que, dans la région paléarctique, les conditions géographiques et climatiques actuelles n’ont pas permis le retour des formes chassées par les glaciations.Parmi les Mammifères, l’endémisme se trouve surtout chez les Rongeurs, dont beaucoup de familles sont connues dès l’Éocène supérieur et l’Oligocène. Trois d’entre elles, les Geomyidae (gaufres à poches), les Heteromyidae (souris sauteuses d’Amérique du Nord) et les Aplodontidae («castors» des montagnes), sont restées dans leur berceau américain, tandis que les Dipodidae (gerboises) et les Gliridae (loirs) ne se trouvent que dans la région paléarctique, à l’exception toutefois des graphiures, loirs africains arrivés jusqu’au Cap. En revanche, dès l’Oligocène, les Castoridae peuplent l’Europe et l’Amérique du Nord, comme le font maintenant les Microtidae (campagnols); les Cricetidae et les Sciuridae , également très anciens, ont envahi le monde entier, sauf la région australienne; assez curieusement, les Muridae , qui comptent les seuls Rongeurs à avoir atteint l’Australie, à laquelle ils ont donné des genres propres, n’ont pas gagné l’Amérique (le rat et la souris domestiques y ont été introduits par l’homme).Au Tertiaire, l’Amérique du Nord et l’Eurasie ont été des foyers de radiations très importants pour les Carnivores et les Ongulés, dont l’histoire s’est déroulée pour certains, simultanément et indépendamment, dans les deux mondes. Cependant, la majorité des espèces américaines actuelles descendent d’émigrés asiatiques entrés au Pléistocène, les lignées néarctiques étant éteintes ou réfugiées en Amérique du Sud. Ainsi, l’ours à lunette sud-américain se rattache à une lignée néarctique éteinte, tandis que le baribal et le grizzly du Nord se rattachent à l’ours du Tibet et à l’ours brun asiatique; l’ours polaire est également un rameau de l’ours brun. De même, les Cervidés sud-américains proviennent d’une lignée qui a buissonné à partir du Pliocène en Amérique du Nord, où elle ne subsiste plus que par le genre Odocoileus ; le cerf, l’élan et le renne d’Amérique du Nord sont venus d’Asie au Pléistocène, comme les Bovidés (bison, bœuf musqué, chèvre des montagnes Rocheuses et mouflon), à l’exception du pronghorn, endémique et autochtone.En revanche, la région néarctique a donné à l’Ancien Monde le genre Equus (cheval, zèbre et âne). La famille des Équidés a en effet évolué en Amérique du Nord à partir de l’Éocène et la lignée du Cheval s’est répandue en Eurasie et en Afrique au cours du Plio-Pleistocène, en même temps qu’elle pénétrait en Amérique du Sud (fig. 5). Les chevaux se sont éteints à l’époque préhistorique en Amérique [cf. PÉRISSODACTYLES].Endémisme et dispersion des faunes orientale et éthiopienneOuverte sur la région paléarctique et en communication avec la région éthiopienne, la région orientale a reçu un apport faunique de l’une et de l’autre de ces régions; des éléments néarctiques lui sont aussi parvenus par l’est de l’Asie. En outre, plusieurs lignées y ont sans doute leur berceau. Son caractère tropical a favorisé ses affinités éthiopiennes, aussi nettes pour les Oiseaux et les Mammifères que pour les Reptiles (toutefois, parmi les crocodiles, le gavial représente à lui seul une famille endémique).Les Mammifères endémiques – galéopithèque, tupaïe et tarsier – sont des relictes de groupes archaïques, jadis plus étendus. Ainsi, l’ordre des Dermoptères, dont le galéopithèque est le dernier survivant, est représenté par deux genres dans le Paléocène d’Amérique du Nord; les tupaïes, bien qu’ils ne soient attestés à l’état fossile que par une espèce de l’Oligocène de Mongolie, sont de même les derniers représentants d’un groupe d’expansion très ancienne, dont l’origine est proche de celle des Insectivores et qui n’a pas atteint le niveau d’évolution des Primates; le tarsier, en revanche, représente une lignée prosimienne déjà connue dans l’Éocène d’Europe et d’Amérique du Nord.Le tapir à chabraque, localisé en Indochine et en Malaisie, fait également figure de relicte, comme les tapirs d’Amérique du Sud qui lui sont étroitement apparentés. Cette répartition disjointe est en rapport avec l’histoire des Tapiridés: connus dès l’Oligocène, ils furent florissants au Miocène dans les régions néarctique et paléarctique, d’où ils gagnèrent l’Amérique du Sud et la région orientale. Actuellement en régression, la famille ne subsiste plus que par le seul genre Tapirus , cantonné aux deux extrémités de son aire de répartition.Le cachet original de la faune éthiopienne (7 familles d’Oiseaux et 9 de Mammifères endémiques) tient à la longue insularité de l’Afrique, qui a favorisé son rôle de berceau, ainsi qu’à la barrière désertique qui la coupe actuellement du reste du monde, protégeant ainsi des familles endémiques d’origine allochtone, éteintes ailleurs, qui ont franchi le Sahara à une époque moins aride.L’Afrique, plus précisément le bloc africano-arabe, et l’Amérique du Sud, pièces maîtresses de l’ancien continent de Gondwana, encore incomplètement séparées au milieu de l’ère secondaire, étaient devenues au début du Tertiaire deux immenses îles entraînées dans une dérive inverse. Au commencement du Tertiaire, le bloc africano-arabe n’eut que des contacts sporadiques avec l’Europe et l’Asie. Au Miocène inférieur, l’Arabie se soudant à l’Asie, les échanges de faune furent facilités. La mer Rouge était alors un golfe de la Téthys, fermé vers le sud; à la fin du Miocène, l’ouverture de ce golfe dans l’océan Indien fut compensée par le soulèvement de l’isthme de Suez qui devint la voie de passage entre l’Asie et l’Afrique.Parmi les Mammifères, 9 à 11 familles semblent originaires d’Afrique, où 4 se sont cantonnées, tandis que 5 ont diffusé à l’extérieur, notamment dans la région orientale; 18 à 20 familles sont allochtones, dont 4 sont éteintes ailleurs. Ainsi la girafe et l’okapi, entrés au Pléistocène et repoussés au sud du Sahara, sont les derniers survivants d’une famille dont l’histoire s’est déroulée dans l’Ancien Monde à partir de l’Asie et qui était d’ailleurs présente en Afrique au Miocène et au Pliocène (fig. 6). Les hippopotames, maintenant strictement africains, ont une origine moins nette, sans doute asiatique. Les singes ou Anthropoidea ont leur berceau en Afrique où ils sont connus à l’Oligocène (Fayoum); ils se seraient différenciés à partir d’un stock prosimien, entré peut-être au moment du contact paléocène. Les Pongidés, actuellement représentés par les gibbons et l’orang-outan en Asie, le gorille et le chimpanzé en Afrique, auraient pénétré en Eurasie à la fin de l’Oligocène; les Cercopithécidés, qui constituent un élément important de la faune orientale, ne seraient entrés en Eurasie qu’au Miocène supérieur. C’est aussi à partir de l’Afrique que les Proboscidiens ont envahi le monde; représentés de nos jours par les seuls Loxodonta en Afrique et Elephas en Asie, ils sont en plein déclin après une histoire extraordinairement brillante qui débute dans l’Oligocène d’Afrique (gisement du Fayoum) et s’étend dès le Miocène sur l’Ancien puis le Nouveau Monde (y compris l’Amérique du Sud au Pléistocène), où le groupe a irradié jusqu’aux temps glaciaires. Loxodonta et Elephas coexistaient en Afrique au Pliocène [cf. PROBOSCIDIENS].Endémisme et relations des faunes néotropicale et australienneLes faunes néotropicale et australienne sont caractérisées par leur fort degré d’endémisme, conséquence de l’isolement de ces régions, qui ne cessa pour l’Amérique du Sud qu’à l’aurore du Quaternaire, et par la présence de Marsupiaux, absents partout ailleurs, à l’exception d’un opossum qui a atteint l’Amérique du Nord.Le cachet profondément original de la faune néotropicale se traduit par la présence de 25 familles d’Oiseaux endémiques et autochtones et de 11 familles de Mammifères (6 pour les Rongeurs, 2 pour les Primates, 2 pour les Édentés, 1 pour les Marsupiaux). Primates et Rongeurs dériveraient de souches africaines arrivées par radeaux avant l’Oligocène, alors que la distance entre les deux continents était sans doute moindre. Les autres Placentaires descendraient d’un rameau polarctique entré accidentellement au Crétacé supérieur et qui se serait diversifié dans le sens phytophage en donnant notamment les Édentés, les Condylarthres (qui repassèrent au nord, où ils engendrèrent les Ongulés), les Notongulés dont le buissonnement se poursuit pendant le Tertiaire en laissant les Marsupiaux assurer la fonction de prédation. Les échanges consécutifs à l’émersion de l’isthme de Panama provoquèrent des extinctions de part et d’autre mais restèrent limités, l’isthme fonctionnant comme un pont filtrant, et, s’ils atténuèrent l’originalité de la faune, ils ne l’effacèrent pas complètement.L’avifaune australienne est la plus originale du monde, avec celle de la région néotropicale. L’émeu, le casoar, l’oiseau-lyre, les oiseaux de paradis en sont des exemples classiques. Parmi les Reptiles, le Sphenodon de Nouvelle-Zélande est le seul survivant d’un groupe florissant au Jurassique. Les Mammifères sont caractérisés par l’absence presque totale de Placentaires, par la présence des Monotrèmes, inconnus ailleurs (Échidnés et Ornythorynque), enfin par la diversité des Marsupiaux qui offrent les mêmes types d’adaptation que les Placentaires (carnivores, insectivores, herbivores, coureurs, sauteurs, arboricoles) que leur isolement a protégés [cf. MARSUPIAUX].La répartition actuelle des Marsupiaux relève, comme la présence des Monotrèmes en Australie, de faits anciens d’ordre paléogéographique et phylogénétique. Les Marsupiaux australiens et américains dérivent d’une même souche «didelphoïde» et leur séparation date au moins du début du Tertiaire. La coexistence chez les Mammifères du tronc marsupial et du tronc placentaire remonte au moins au Crétacé inférieur. D’après la théorie de R. Hofstetter, 1970, tandis que les Placentaires commençaient à évoluer dans l’Ancien Monde, l’évolution des Marsupiaux aurait eu pour théâtre la «guirlande», d’ailleurs discontinue, de continents qui s’étendaient de l’Amérique du Nord à l’Australie (fig. 7).La présence de Marsupiaux fossiles, déjà diversifiés, dans le Crétacé moyen et supérieur d’Amérique du Nord et dans le Crétacé supérieur de Bolivie cadre bien avec cette hypothèse qui, par ailleurs, rend aisément compte de la répartition actuelle des Marsupiaux. Ayant pénétré en Europe au Paléocène et jusqu’en Afrique à l’Éocène, ils y furent éliminés par les Placentaires, de même qu’ils l’avaient été en Amérique du Nord, au Crétacé supérieur. En revanche, en Amérique du Sud, grâce à la longue période d’isolement de ce continent, ils donnèrent durant le Tertiaire une radiation adaptative extraordinaire. Toutefois, la localisation du «berceau marsupial» dans la «guirlande» demeure controversée: l’individualisation des Marsupiaux et des Placentaires a probablement eu lieu dans la région holarctique, mais l’idée d’un berceau austral pour les Marsupiaux ne doit pas être rejetée et l’Afrique elle-même n’a peut-être pas été toujours étrangère à leur histoire. Il est possible aussi que l’un des facteurs déterminants de l’individualisation des Marsupiaux dans la «guirlande» ait été la séparation de l’Afrique et de l’Amérique du Sud par l’Atlantique, séparation qui se serait achevée à la fin du Jurassique.
Encyclopédie Universelle. 2012.